Je suis d’une génération qui a connu le travail sans mail. J’ai eu mon premier emploi au tout début des années 1990 et c’est une époque où la messagerie électronique telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas. Il y avait bien des outils disponibles pour communiquer par écrit dans une forme « d’immédiateté » comme le télex ou la télécopie, mais ces outils présentaient des différences notables avec le mail. La principale est que, sauf exceptions, ils n’étaient pas posés sur notre poste de travail. Cela avait une conséquence : même s’ils étaient des outils de communication écrite très rapides, ils n’étaient pas instantanés comme l’est le mail quand les notifications d’arrivée sont activées. Sauf si l’on attendait quelque chose de précis, il pouvait s’écouler plusieurs heures entre le moment où le document arrivait et le moment où on l’avait en main.
Il y avait une autre différence très importante en cette période estivale : ils ne nous suivaient pas sur le lieu de nos vacances. De fait, lorsque nous étions en congés, nous étions injoignables et tout le monde considérait cela comme normal. Sur la plage, sur les pistes de ski ou au bord de la piscine nous pouvions nous consacrer avec une concentration totale à ce pour quoi nous étions là : nous détendre et nous reposer.
Aujourd’hui, il n’en est plus vraiment question pour bien des gens. D’après le « Référentiel 2024 » de l’OICN, 28 % des collaborateurs, 39 % des managers n’ont pas de congés numériques (n’ont aucune semaine sans envoi de mails). Pour les dirigeants, ce chiffre monte à 65 % !
Je ne m’étendrai pas sur le fait que cette situation soit contraire au droit du travail.
Je voudrais surtout partager cette interrogation : pourquoi, ce qui était naturel, normal il y a vingt ans, à savoir notre indisponibilité pendant nos congés, n’est plus possible pour beaucoup ?
Je suis bien conscient que depuis cette époque, « le temps s’est accéléré » comme on dit. L’immédiateté est devenue la règle dans bien des situations, l’urgence est devenue un culte (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicole Aubert) et l’on considère trop souvent que faire vite est mieux que faire bien.
Mais, puisque les vacances approchent à grands pas, je me permets de vous poser la question, à vous qui traitez vos courriels sur la plage, juste avant l’apéro ou après le barbecue : est-ce vraiment indispensable ? Est-ce même utile ? Ces tâches, si « urgente » qu’elles ont le privilège de perturber vos vacances, sont-elles si importantes ? Ne pourraient-elles pas attendre que vous reveniez de vos congés ? Ne pas vous en occuper aurait-il des conséquences si graves sur votre entreprise ?
Je ne peux évidemment pas répondre à ces questions pour vous. Mais, si au moins vous preniez le temps de vous les poser sincèrement, j’en serais très heureux.
Je vous souhaite de très bonnes vacances… sans mails ?