J’ai déjà eu dans ce blog l’occasion de citer la thèse de doctorat en sociologie de Thierry Venin « Techniques de l’Information et de la Communication et risques psychosociaux sur le poste de travail tertiaire » soutenue le 11 décembre 2013. Dans ce travail dont je ne peux que vous conseiller la lecture, une phrase me paraît résumer notre situation face aux Technologie de l’Information et de la Communication (TIC) : « Avec les TIC, il paraît utile de prétendre que le travailleur tertiaire et son organisation professionnelle n’ont pas quitté la période infantile. » Je pense cette phrase est exacte pour plusieurs raisons.
Un outil récent
La première raison est que la présence des TIC dans notre quotidien est récente. Elles sont apparues dans les années 70, mais elles n’ont commencé à envahir notre quotidien professionnel au début des années 2000. Une quinzaine d’année ! Ça n’est pas beaucoup ! Bien sûr, à l’échelle d’une vie, c’est une période importante et je suis le premier à me dire que ces quinze années sont une part importante de mon existence. Mais l’impact des TIC ne sont pas à mesure à l’aune d’une existence, mais vraisemblablement à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Michel Serres, philosophe et historien des sciences, parle de « troisième révolution anthropologique ». La première de ces révolutions est l’invention de l’écriture, la seconde, l’invention de l’imprimerie ! Rien que ça ! L’impact des TIC serait selon ce brillant intellectuel à comparer à deux avènements essentiels de l’histoire de l’homme, l’écriture et l’imprimerie. Je vous invite d’ailleurs à lire son livre « Petite Poucette » (en référence à l’habileté des pouces sur le clavier virtuel des smartphones) qui est une réflexion passionnante autour de cette évolution majeure.
De fait, comme l’imprimerie et l’écriture, les TIC ont déjà changé fondamentalement notre rapport à l’information et au savoir. L’anecdote suivante me paraît révélatrice d’un des aspects de ce changement. J’ai l’habitude, lorsque j’approche de la fin de ma formation de citer cette phrase de Sénèque « Il n’est pas de vent favorable à celui qui ne sait où aller ». Et bien, alors que je venais de faire cette citation face à un groupe d’élèves ingénieurs, je remarquais que l’un d’eux, parfait « petit poucet » de Michel Serres, tapotais sur le clavier de son smartphone,…. et vérifiais ma citation ! Au-delà de la vérification, il signifiait aussi que dorénavant, une grande partie du savoir est accessible, instantanément.
Et cela, comme des enfants qui découvrent le monde, nous n’avons pas encore compris comment nous en servir.
Connexion permanente
Comme d’autres enfants encore, mais qui eux découvrent un nouveau jouet à Noël et ne parviennent pas l’abandonner, les TIC nous amènent à une connectivité permanente. Nous devenons joignables à toute heure du jour et de la nuit, la semaine, le weekend, pendant nos vacances, etc. Certaines entreprises ont d’ailleurs commencé à réagir contre ce phénomène en arrêtant les serveurs de messagerie du vendredi soir au lundi matin, permettant ainsi à leurs salariés de rejeter sans culpabilité la pression des mails.
Et à ce sujet, je ne peux m’empêcher de citer Thierry Venin encore une fois : « La dépendance croissante à la nécessité d’une connexion TIC permanente n’implique pas la connexion effectivement permanente pas plus que la disponibilité du réseau électrique n’impose de dormir la lumière allumée ou que l’eau courante impose de laisser les robinets ouverts. » Et pourtant, c’est bien ainsi que beaucoup ont commencé de se comporter.
Ces deux éléments ne sont que deux aspects des changements entraînés par cette troisième « Révolution anthropologique ». Bien d’autres sont déjà présents ou à venir. Mais si nous commencions par cesser de nous comporter comme des enfants et que nous prenions à bras le corps cette mutation que nous ne pourrons pas éviter…